Qui êtes-vous et que faîtes-vous ?
Je m'appelle Manuel Diaz, je suis entrepreneur depuis l'âge de 18 ans. Mon boulot tel que j'essaye de le qualifier le plus simplement possible, c'est de connecter les marques à leur futur le plus facilement possible pour fabriquer des expériences efficaces. En synthèse, c'est cela qui faut savoir. Moi j'ai créé ma première entreprise en province, à la fin des années 90 avec mon frère [NDLR : Carlos Diaz]. On a été parmi les premières agences de génération digitale à traiter la communication sous un autre angle : celui de l'interaction et celui dans lequel les technologies allaient jouer un jeu d'intermédiation entre les marques et leurs audiences.
Est-ce un "virage" de vous mettre en avant depuis quelques temps avec le programme Marche ou Crève notamment, est-ce pour évangéliser le numérique auprès du plus grand nombre ?
En fait on l'a toujours fait, si vous regardez dans l'histoire, Emakina a été la première agence à bloguer et à ouvrir son blog à tous les collaborateurs. Je vous parle de ça, ce devait être en 2000-2001 quelque chose comme ça, on a eu des articles là-dessus : on avait eu une double page dans l'Express pour dire "est-ce que ça n'est pas dangereux de laisser la parole aux collaborateurs dans votre communication corporate, dans votre entreprise avec le blog" etc. En fait, c'est profondément ancré dans la culture de l'agence que d'évangéliser. En réalité, je pense que l'on fait un métier où à partir du moment où on ne conseille pas, on ne peut pas interagir. Je pense que l'on fait un métier où il est totalement inutile d'avoir des vendeurs, des commerciaux et par contre il est très utile d'avoir des seniors en front line qui évangélisent un maximum, qui montrent qu'ils ont des points de vues et des avis, et que ces avis peuvent être utilisés pour des patrons d'entreprises, quelle que soient leurs tailles, afin de poursuivre leurs objectifs et de résoudre leurs problèmes.
C'est ce qui s'est passé avec Marche ou Crève que j'ai lancé l'été dernier ou en septembre et que je continue - j'ai aussi lancé "Non Stop" qui est un autre format, qui est un peu plus "vis ma vie d'entrepreneur", ou même mon bouquin que j'ai sorti en octobre l'année dernière [NDLR : Tous digitalisés]. Tout cela est fait pour deux choses : la première est qu'il n'y a jamais eu autant d'incompréhension entre le monde de la communication et les décideurs industriels : je suis patron de PME ou du Cac 40, j'ai besoin de comprendre simplement ce qui est entrain de se passer. Or le milieu de la communication au sens large du terme et encore plus le milieu de la communication digitale a tendance à jargonner, à rester dans sa sphère : si vous prenez les digitaux, ils parlent entre geeks, si vous prenez les publicitaires ils parlent entre pubards, ils font même des festivals pour se décerner des médailles etc. Finalement, ils ne vont pas vers les gens, en réalité leurs clients qui ont des problèmes à résoudre et c'est ça la marque de fabrique d'Emakina : c'est d'aller vers ceux qui ont des problèmes à résoudre, essayer de leur faire comprendre quel est le bénéfice qui peuvent attendre d'une agence comme la nôtre et comment ça peut les aider dans leur business.
Je pense qu'il y a une corrélation directe entre l'accélération du monde et l'indispensabilité à se réunir.
Du coup, par rapport à l'événementiel, comment l'intégrez-vous dans les stratégies digitales ? Est-ce un levier important ? Pas assez exploité ? Comment vous voyez ça ?
Alors 2 choses importantes : depuis que je fais du web on m'a dit au tout début "c'est une catastrophe, les enfants ne liront plus etc". Je rappelle quand même que le web a accouché d'Amazon qui est le plus grand vendeur de livres de la planète, c'est donc une contre vérité. Ensuite on nous a dit qu'avec les réseaux sociaux "c'est une catastrophe, les gens ne vont plus se rencontrer, ne vont plus se voir, tu vois les gens au restaurant ne se parlent plus, sont sur leur smartphone entrain de discuter avec d'autres personnes, c'est socialement pathétique". Or, si on regarde aujourd'hui, on ne s'est jamais autant réuni. Il n'y a jamais eu autant d'événements. Regardez, aujourd'hui, je suis dans notre bureau en Suisse, parce que demain il y a la conférence Lift qui est une conférence majeure en Europe sur le digital, les innovations comme Le Web l'a été en France ou le Web Summit à Dublin. Et y'a jamais eu autant d'événements ! SXSW aux US, TED et TEDx un peu partout sur la planète etc. Fort heureusement pour nous, ce n'est pas parce qu’il y a plus de technologies dans le monde que les êtres humains ne restent pas des animaux sociaux. Nous sommes des animaux, des mammifères sociaux, qui ont besoin de se réunir. Et je pense que plus l'on communique, et plus on communique vite, plus on a besoin de se réunir vite. Simplement, on se réunit dans des buts assez précis. On se réunit pour passer un bon moment social ensemble, on se réunit pour apprendre des choses ensemble, on se réunit pour travailler ensemble, on se réunit pour explorer des choses etc. En fait, je pense qu'il y a une corrélation directe entre l'accélération du monde, l'accélération de la communication, l'accélération de la mobilité et l'indispensabilité à se réunir.
Typiquement, c'est pour ça que les salons virtuels ou ce genre de choses n'a pas décollé et ne décollera peut-être jamais d'ailleurs ?
Ça ne marche pas ! C'est pour ça que Second Life n'a jamais marché. C'est pour ça que je pense que l'on ne pourra jamais, malgré toutes les innovations de geeks, que ceux qui ont des problèmes d'hormones à résoudre et qui nous disent que demain on va baiser avec des Oculus Rift sur la gueule : je n'y crois pas du tout. Les êtres humains restent des animaux sociaux, ils ont besoin de se réunir, ils ont besoin de se voir etc. Et plus y'aura de technologie, plus ils en auront besoin.
Votre meilleur souvenir sur un événement ?
Un de mes meilleurs souvenirs, c'est... allez j'en cite deux. Le premier c'est South by Soutwest (SXSW). Quand il s'est installé, les premières éditions, j'ai trouvé ça malin, j'ai trouvé très très bien le fait de mélanger des cultures différentes, ça reste à la base un festival de musique qui a mélangé ça, avec la culture des technologies, avec la culture de l'innovation et on voit à Austin au Texas qu'ils changent de face dès que South by Soutwest arrive avec 3 séquences puisqu'il y a en fait l'enchaînement de 3 festivals les uns derrière les autres, les populations qui fréquentent South by Soutwest, l'innovation qui en sort, la richesse des échanges qu'il y a sur place est assez hallucinante, j'ai rarement vu ça ailleurs. C'est un de mes meilleurs souvenirs, toutes les premières éditions de South by Soutwest. Là j'y suis pas allé depuis une ou deux éditions mais depuis le début, je trouve ça assez hallucinant et visionnaire que de dire : les communicants, les publicitaires, les mecs du digital, les mecs de la musique, les mecs de la culture et de l'art ont des choses à partager ensemble et quand on les mélange ça fait des trucs étonnants. Ils ont réussi à faire venir les gros mamouths comme Google, comme Facebook etc. et au final ils en ont même fait le lieu d'annonces des innovations les plus folles de ces gens là. C'est là où Adidas a lancé sa chaussure connectée etc.
Et le deuxième souvenir c'est quand "Paris blog-t-il" qui avait été initié par Loïc Le Meur est devenu LeWeb et la première conversation que j'aie eue avec ce mec complètement lunaire, on arrête pas de me dire que je fais du Gary ici en France, mais qui est Gary Vaynerchuk qui est un super mec et qui était venu à LeWeb pour parler de Wine Library, parce qu'il dirigeait un site de caviste à New York qui vend du vin à des Américains, qui est un projet étonnant, qui quand il a vu arriver YouTube, il s'est dit "grâce à Internet, je vais pouvoir vendre des trucs" et je vais me mettre à faire Wine Library Tv et tous les jours, je vais faire un show qui parle du vin, qui montre mon expertise, qui montre tout ce que j'ai appris et qui fait la critique d'une ou plusieurs bouteilles qui sont disponibles chez moi et faire du ecommerce. Et il a transformé ce qu'était un grossiste en vin aux Etats-Unis à New Jersey dans la banlieue de New York en un business qui a pesé plus de 60 millions de dollars et qui est devenu leader dans la vente de vins aux Américains et aujourd'hui ce mec a écrit des bouquins et continue d'être un des meilleurs spécialistes des réseaux sociaux qu'on puisse connaître avec Brian Solis par ailleurs et c'est quand même un mec à qui ont doit des bouquins aussi forts que "Crush it!" "The Thank You Economy" qui sont des monuments du marketing moderne. Et ça je trouve que c'est extraordinaire. Et alors mon souvenir exceptionnel c'est d'avoir discuté pendant une heure avec Gary il y a de ça au moins 6 ans à LeWeb.
Il y avait aussi un souvenir avec Seth Godin je crois ?
Oui alors avec Seth Godin, c'est un de mes rêves particuliers. Il se trouve que TheFamily avait organisé un... oui c'est vrai que pour le coup si je devais le classer je le mettrais peut-être en numéro 2 ! TheFamily qui est un accélérateur que vous connaissez sûrement avait organisé un talk sur le luxe et le digital et m'avait demandé de venir parce qu'il se trouve qu'on est l'agence de Karl Lagarfeld, qu'on connait bien les sujets du luxe et qu'on a beaucoup de marques du luxe dans nos clients et Seth Godin dont j'ai lues les paroles depuis que je suis entrepreneur, depuis tout petit, et faisait un talk juste avant moi et moi je passais après lui, on a même fait un moment de talk ensemble et c'était un moment extraordinaire puisque c'est un moment où l'on rencontre quelqu'un qu'on admire.
Vous poursuivez un objectif qui va dans le sens de l'Histoire.
Et justement le parallèle avec ce que vous avez fait avec Karl Lagarfeld, ces magasins connectés, on le met pas mal en parallèle avec ce que KAYO veut faire dans l'événementiel, qu'est justement de digitaliser pour rapprocher les gens et les connaitre mieux, c'est vraiment notre mission.
C'est ma grande théorie sur le phygital, c'est à dire que je pense aujourd'hui quand on voit le marché des objets connectés, j'en parle dans le prochain Marche ou Crève qui est sorti le 3 mars [NDLR : épisode 26 Marche ou Crève ] Le marché des objets connectés est un marché qui explose, je pense que le physique, tout ce qui nous entoure sera demain connecté et il nous apparaîtra étonnant de ne pas avoir une vitrine interactive, un produit qui nous parle, de parler en langage naturel avec un objet technologique etc. et que en réalité la réconciliation entre la technologie et notre monde physique, c'est l'enjeu. Moi dans ce que je comprends dans ce que vous me dîtes, c'est que vous poursuivez un objectif qui va dans le sens de l'Histoire. Le sens de l'Histoire, la réalité physique, la réunion des gens, les lieux les endroits, les objets, les villes vont tous être innervés par de la technologie et que la frontière sera poreuse et c'est le mariage entre le physique et le digital que j'appelle le "phygital".
Un dernier mot ? On peut peut-être parlé de Marche ou Crève ?
Oui on m'a dit au moment de lancer Marche ou Crève "tu vas voir, t'as que des coups à prendre, c'est un format qui va très très bien marcher dans notre culture européenne, il est un peu égocentré, sur toi, sur ton expérience et en réalité, y'a quelques trolls, y'en a toujours qui mettent des mauvais commentaires, mais vous imaginez pas le torrent de messages que je reçois en DM , par email, par Snapchat, par Twitter, de gens qui me disent que "c'est une bouffée d'oxygène, ça m'inspire, ça me fait marrer, je suis pas toujours d'accord mais ça m'encourage, je suis entrain de créer ma boîte ou je suis à un pallier dans ma boîte ou je suis entrain de la vendre, je suis entrain de la faire grossir, je vais embaucher mon premier Senior etc." et ça c'est vraiment mon payback, parce que c'est profondément inscrit dans l'ADN des entrepreneurs du digital, il y a inscrit la transparence et la culture du réseau, la culture de rendre ce que l'on a appris à sa communauté, à la communauté des gens qui vous suivent et qui vous écoutent et ça me procure à la fois une forme d'épanouissement et de responsabilité que d'ouvrir la porte en toute transparence de comment je vis, comment je gère les gens, je pense que je n'ai pas vu un seul autre patron d'agence de marché européen pratiquer ce niveau de transparence où on laisse entrer les caméras dans mes réunions avec des clients et autres.
Et justement vous iriez presque jusqu'à parler de tarifs ou ça c'est la dernière limite ? Je pense à Buffer qui diffusait carrément les salaires de tous les employés, est-ce que ça pourrait aller jusque là ?
Non, moi j'ai pas de problème avec ça. Je sais que chez les Judéos-Chrétiens on a des problèmes à parler d'argent, on a cette pudeur, moi j'ai pas de problème avec ça. La seule limite que je m'impose c'est qu'on est très préoccupé, on a cette culture du secret et de la confidentialité, on en a besoin pour correctement conseiller nos marques, quand on a des grandes marques internationales prêtes à dépenser beaucoup d'argent dans des lancements produits pour étonner leurs clients, pour leur fabriquer des bonnes nouvelles, la confidentialité elle vient de là, que ce soit pour Apple, pour Nike ou pour d'autres, c'est de fabriquer des bonnes nouvelles à leur communauté, on ne peut pas trahir cette confiance donc la seule limite que je m'impose, c'est veiller à ce que notre devoir de confidentialité soit respecté après le reste c'est sincèrement aucune pudeur, sur le reste, je n'ai pas de problème à parler d'argent, je n'ai pas de problème à parler de management, je n'ai pas de problème à parler des succès et des échecs, je n'ai pas de problème à parler du fait qu'un entrepreneur ça embauche et ça vire, j'ai pas de tabou sur ces sujets.
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